Bonjour tout le monde !
Passer quatre jours en compagnie d'un
de ses groupes de rock préférés n'est pas donné à tout le monde.
C'est pourtant ce qui m'est arrivé. Un beau lundi soir de Juillet,
j'ai pris le train pour Toulouse et je suis allée rejoindre The
Deserteurs.
Comment les ai-je connu et comment
ai-je été invitée à les retrouver ? Sans intérêt pour
vous, pas assez romantique. Disons pour faire court que la rencontre
était déjà prévue depuis un an. En un an, les gens changent, les
groupes de rock aussi. The Deserteurs, eux, avaient accueilli dans
leurs rangs une claviériste et sorti leur premier EP trois jours
avant mon arrivée. (Ce qui était finalement bien pratique puisque
c'est ladite claviériste qui m'a hébergée durant les quatre nuits
et quatre jours que j'ai passés là-bas.)
Étant un jeune écrivain plein
d'espoir, une jeune femme avide d'aventures et de connaissances,
j'avais plusieurs raisons d'entreprendre un tel voyage. Renouveler
mon inspiration était l'une d'entre elles. Avoir publié un
feuilleton gothique dans un journal local nécessitait une pause.
M'initier au gonzo journalisme était une autre raison. Rencontrer
des musiciens que je suivais depuis un an et auxquels j'avais
consacré deux chroniques sur ce blog, une autre. Bref, j'étais plus
motivée que jamais, mais j'avoue que dans le train, entre deux
paysages crépusculaires, je ne pouvais m'empêcher de me demander :
« Serai-je à la hauteur ? »
Vaste question.
C'est avec un trac monstrueux que je
suis arrivée à Toulouse dans la nuit. Bien sûr, j'avais échangé
mails, histoires et musique avec les Deserteurs depuis des mois. Il
n'empêche que les rencontrer en vrai...
En haut de l'escalator de la gare, la
pétillante Louisa Bénâtre a surgi. La claviériste des Deserteurs
(officiant aussi avec son frère dans le groupe pop Alone With
Everybody, qui sort son premier album en Septembre) est une jeune
fille de 18 ans souriante, cultivée et avec un goût très sûr
aussi bien pour les vêtements que la musique et l'art.
Présentations. Sourires. « Thomas nous attend dehors. »,
lâche-t-elle. Diantre. Thomas Pradier est le chanteur et leader des
Deserteurs. L'homme à l'origine des chansons Visions of
Confusion, Take It et
quelques autres petites merveilles psychédéliques et garage que
j'avais aimé écouter en griffonnant sur des feuilles.
Lui, en tout cas,
est à la hauteur. Exactement comme je l'imaginais et même plus,
impression qui ne se démentira pas au cours des quatre jours qui
suivront. Le jeune homme est calme, d'une élégance naturelle et
fort sympathique. Son charisme, en particulier, est impressionnant.
Nul doute que si The Deserteurs continuent sur leur lancée, il ira
très loin. Un personnage digne d'être mis dans un roman. J'avais
une fois écrit une nouvelle qui s'inspirait vaguement de lui, et
cette nuit-là, j'ai été surprise de voir à quel point la vision
que j'avais eue correspondait parfaitement à ce que j'avais écrit.
La voiture sillonne
Toulouse la nuit. Une ville vaste et qui ne demande qu'à être
explorée. Sur le moment, je suis éberluée de constater que je suis
dans la même voiture que deux des musiciens que j'admire le plus au
monde... Ce n'est que le début. Oh oui.
Le soir-même, dans
un geste très classe qui mériterait sa place dans une histoire –
et il l'aura –, Thomas m'offre l'EP des Deserteurs (critique
ci-dessous), autoproduit et disponible sur le site Bandcamp. Pour la
version « matérielle », les musiciens ont choisi le
format cassette. Pratique, rigolo et vintage. La face B est occupée
par le premier EP des MILF Hunters, un groupe ami que j'aurais
l'occasion de rencontrer le lendemain.
L'aventure ne fait
que commencer.
Le jour suivant,
Toulouse s'offre à moi, guidée par Louisa qui connaît la ville –
et ses meilleures adresses – comme sa poche. Toulouse, ses magasins
de musique, ses boutiques de vêtements vintage, ses monuments
ancestraux. Si un jour vous décidez de fonder un groupe de rock,
vous pouvez y trouver votre esthétique en moins de cinq minutes.
Tout est dans la même rue.
J'en profite pour
demander à Louisa comment se créent les chansons des Deserteurs.
« En général, Thomas arrive avec une chanson presque
entièrement écrite, répond-elle. Il a les paroles, la mélodie, et
on va dans la direction qu'il nous indique. »
Le soir-même, peu
avant la fête dont la menace est imminente chez Louisa, je rencontre
Maxime Costa, dernier Deserteur qu'il me restait à voir. Le batteur
occupe aussi, depuis peu, le poste de bassiste chez MILF Hunters. Si
Thomas est le compositeur et la tête pensante de The Deserteurs,
c'est bel et bien Maxime qui est à l'origine du groupe. Mais cela,
je ne l'apprendrai que deux jours plus tard...
Grand et pâle, aux
yeux d'un bleu clair, Maxime est un jeune homme doux et discret.
Inutile de se demander pourquoi Thomas et lui s'entendent si bien. A
les voir, l'alchimie semble évidente. C'est assez indescriptible, la
chose est assez rare entre deux amis, entre deux musiciens... Elle
est souhaitable et bienvenue. Les futures fans du groupe prendront
plaisir à écrire toutes sortes d'histoires quand The Deserteurs
sera plus connu, je suppose. « Un jour, des jeunes filles
écriront des fanfictions sur Thomas et toi », ai-je
solennellement déclaré à Maxime. Avant de lui expliquer le concept
sous son regard joyeusement incrédule. Qu'ils s'y préparent...
Les MILF Hunters
débarquent chez Louisa avec le soir. C'est un groupe garage et
grunge, assez sauvage sur scène. Dans la vie, leurs musiciens sont
extrêmement gentils. (Et la petite fille dans ma tête pousse un
soupir de soulagement.)
Jadis, j'ai passé
une nuit entière enfermée dans un théâtre avec des acteurs, à la
fin d'une pièce à laquelle j'avais participé. Passer une soirée
avec des rockers n'a rien à voir. La mentalité est fort différente,
le grain de folie aussi. Mais il est plaisant.
La radio passe les
Strokes et, peu après, The Red Lips, un groupe de rock aujourd'hui
séparé. « Quand ils existaient, The Red Lips a été l'un des
meilleurs groupes de Toulouse », affirme Louisa. Son frère y a
joué, le chanteur et le batteur des MILF Hunters aussi, à une
époque. Après plusieurs changements de musiciens, The Red Lips
s'est arrêté, laissant derrière eux des fans acquis à leur cause
et un single aujourd'hui culte.
Les musiciens
réunis ce soir-là prennent énormément de plaisir à écouter la
musique des groupes toulousains, mais aussi la leur. Leur EP à peine
sorti, ils ne voient aucun problème à en repasser les chansons en
boucle, exactement comme ils écouteraient Dylan ou les Beatles. « On
est arrivés à un travail conséquent, c'est vrai qu'on en est
fiers », avoue Louisa. Il n'y a pas que ça : The
Deserteurs, MILF Hunters et la clique qui les entoure (amis, petites
amies, épouse) forment une véritable communauté. Une grande bande
d'amis avec ses rites, ses influences et ses lieux de prédilection.
Évidemment, la chose fait envie. « Il y a d'autres gens qu'on croise là où on sort mais qui sont plutôt là pour se donner un genre cool, contrairement à nous qui
aimons réellement la musique », remarque négligemment la
musicienne. Personne n'est dupe.
En
attendant, la soirée de mardi se déroule dans une franche
camaraderie. Il y a même un jam qui se fait entendre... Un piano,
plus précisément. Et comme par hasard, trois places sont vides.
Suivant la piste de la musique, je me dirige seule vers une porte et
l'ouvre. Thomas, Guillaume et Paul (deux autres MILF Hunters) sont
occupés à improviser une mélodie à trois mains sur un piano.
Avant d'enchaîner le plus naturellement du monde sur des reprise
d'Iggy Pop (Lust for Life)
et The Cure (Boys Don't Cry).
Et là, lecteur, commence un souvenir qui restera gravé dans ma
mémoire. L'occasion est trop belle, je demande au leader des
Deserteurs s'il sait jouer In The Cold, Cold Night
des White Stripes. Il commence à la jouer comme un jazz. Je chante,
nous chantons. (Je défie quiconque, quiconque d'avoir déjà chanté
une de ses chansons préférées avec le leader de l'un de ses
groupes préférés. C'est un instant inoubliable.) Il se met ensuite
à jouer au piano Visions Of Confusion,
qui figure sur son EP – j'avoue que je n'ai pu m'empêcher de faire
les chœurs.
Après cela, la
pièce redevient vide, et la soirée durera... Mais pour le reste de
la soirée et la matinée du lendemain, je n'ai plus que ce jam en
tête, presque sûre que le plus marquant de mon séjour est passé.
Je me
trompais – heureusement. Mais c'est un des souvenirs les plus
précieux que je garde. Du genre de ceux que je raconterai à mes
petits-enfants, si j'en ai : « Mon petit, quand j'étais
jeune, j'ai chanté In the cold, cold night
avec le chanteur des Deserteurs. » Tout à fait.
Le
lendemain est un day off. Rien de surprenant à mentionner ici, si
ce n'est que comme cette
chronique est aussi consacrée aux livres et aux films, je puis
signaler en passant que j'ai vu ce jour-là Les hommes
préfèrent les blondes d'Howard
Hawks (et que je préfère Jane Russell !). Louisa, en guide
parfaite, m'a également montré une librairie réputée
nationalement : Ombres Blanches, dans laquelle j'ai piqué un
essai sur le dandysme de d'Aurevilly et un autre d'Oscar Wilde. On ne
se refait pas. Je parle des auteurs. J'ai naturellement acheté ces
ouvrages, « piqués » n'étant qu'une expression.
Le jeudi, la veille
de mon départ... Prouva que je n'avais pas encore tout vu. Loin de
là. Dans la journée, j'ai pu me perdre dans une installation de
Yayoi Kusama au musée des Abattoirs. Du rouge, des pois blancs et
des miroirs partout. Psyché-pop. Pas vraiment hors contexte, donc.
Le soir vit un
événement improvisé. Lequel d'entre vous a déjà fait une
crêpe-party seul(e) avec les trois membres d'un groupe qu'il
adorait ? Mmmh ? C'est bien ce que je pensais.
Ce jeudi soir, j'ai
appris la genèse de The Deserteurs, racontée par Maxime himself.
Celui-ci, d'assez bonne humeur, arrive chez Louisa en souriant. Il a
répété avec les MILF Hunters la veille. Deux nouveaux musiciens
sont arrivés pour remplacer deux départs et Maxime s'avoue plus que
satisfait du résultat. « Ce n'est plus du grunge, c'est devenu
un groupe de surf music. », déclare-t-il, heureux.
Attendons-nous à des changements dans les prochaines compositions
des MILF Hunters... Affaire à suivre.
En
attendant, Maxime me remercie de lui avoir fait découvrir The Black
Ryder et me conseille le second album des Horrors en échange. J'ai
finalement droit au récit complet de la formation des Deserteurs par
son batteur. J'apprends, entre autres, que c'est lui qui a contacté
Thomas afin de fonder un groupe. La timidité respective des deux
jeunes hommes n'a pas facilité les premiers contacts. « On n'a
presque rien dit. Bonjour, ça va ? Et c'était tout, se
souvient Maxime. Puis on s'est revus une troisième fois... Et là,
c'était parti. » Le groupe a hésité entre plusieurs noms. En
vrai fan des Kills, Thomas a suggéré The Black Roosters. « Ça
a duré un jour, rigole Maxime. Puis on a trouvé The Deserteurs à
cause de la chanson Love Is A Deserter. »
Devant mon air étonné, il sourit. « Oui, c'est de là que ça
vient. » La présence d'un clavier est devenue nécessaire
quelques mois plus tard. Après avoir vu Louisa jouer avec son frère
dans Alone With Everybody en première partie de Peter Doherty, les
deux jeunes hommes ont su qu'ils tenaient la musicienne idéale. Elle
a accepté tout de suite. « J'ai toujours voulu jouer ce genre
de musique », m'avait-elle dit une fois.
The Deserteurs
représente bien la nouvelle vague de musiciens qui sévit
actuellement à Toulouse. « Avant, la tendance était
Strokes/New Wave, remarque Louisa, qui baigne dans le milieu depuis
cinq ans. Maintenant, il y a un nouveau souffle, c'est garage
rock/psychédélique. »
Quelques instants
plus tard, Thomas arrive et nous dînons tous les quatre sur fond de
soleil couchant. (Je sais, la scène est atrocement romantique.) Des
crêpes, donc. Nous parlons musique, entre autres. Du fils de Patti
Smith qui a récemment tourné avec Karen Elson. « Il occupe
quel poste ? », demande Maxime. « Guitariste »,
répondent Thomas et moi, matter-of-factly. « Oh,
d'accord. » Tout le repas se déroule dans le calme et la bonne
humeur. C'est l'un des moments dont je me souviens immanquablement
avec un sourire sur le visage. « Regarde avec qui tu es, ma
petite ! »
Au cas où je ne
l'aurais pas précisé : The Deserteurs sont les personnes les
plus adorables du monde.
La
soirée – la dernière – qui suivit fut parfaite et tout aussi
instructive. Guillaume, batteur des MILF Hunters (qui agite aussi son
tambourin chez les Deserteurs de temps à autre), faisait un mix au
Connexion Café, point de ralliement des musiciens. Un trajet en
voiture avec The Deserteurs, Pixies hurlants, est digne d'un road
movie. Nous sommes arrivés un moment plus tard pour quelques heures
de rock psychédélique, cold wave et electro. Le café a ainsi vu
défiler bon nombre de rockers toulousains sur fond de The Cure,
Ringo Deathstarr, Raveonettes, BRMC ou encore Spacemen 3. It
Slips Right To My Heart des
Deserteurs a également retenti. (Est-il utile de préciser qu'en fan
qui se respecte, j'ai eu droit à ma photo avec le groupe ?)
Ainsi
s'est achevée ma dernière soirée avec The Deserteurs. Ayant fait
mes adieux la veille à Thomas, j'ai vu Maxime et Louisa me
raccompagner à la gare le lendemain, leur EP précieusement glissé
dans mon sac.
Il est toujours un
peu triste de quitter une ville, et surtout des gens auxquels on
commence réellement à s'attacher.
Pourtant, en
revenant chez moi, assise dans le train qui filait à travers le
paysage, je savais que je rentrais chez moi avec des milliers de
choses à raconter, des idées d'histoires, des souvenirs que je
garderais toute ma vie et un peu plus de courage, peut-être.
Et je me suis
demandé ce que la vie allait bien pouvoir me réserver, maintenant.
Chronique
de Fever In The Pocket,
par The Deserteurs :
Cet
EP de sept titres (officiellement six plus une piste cachée) est un
petit bonheur en soit. Ceux qui suivent The Deserteurs depuis leurs
débuts connaissent déjà toutes les chansons qui y figurent, ou
presque. Comment résumer le style Deserteurs ? Un mélange de
psychédélisme, de garage rock et de pop des plus efficaces.
The Wind
Won't Stop To Blow démarre les
festivités. La grande qualité du groupe est qu'il est capable de
créer des visions. En l'occurrence, cette chanson donne l'impression
de se trouver sur une falaise au bord de l'océan. Parfait. It
Slips Right To My Heart étant
l'une de mes préférées de The Deserteurs – et d'eux aussi,
manifestement –, je suis ravie de la voir se retrouver sur cet EP.
La mélodie est envoûtante et le leader chante avec l'intonation de
celui qui connaît son affaire. The Devil Does Care
continue dans la même veine : un rock psychédélique ambitieux
mais avec un côté « fait maison », presque artisanal,
qui rend leur musique passionnante.
Et
nous basculons dans la deuxième moitié de l'EP, peut-être la plus
intéressante. Les trois titres suivants sont surprenants. Heartbreak
On Christmas Day, la « chanson
de Noël » du groupe (qu'ils jouent toute l'année) est un
vibrant hommage aux Beach Boys. Une chanson pop avec chœurs, effets
sonores (vent et neige) et une mélodie adorable. Un titre qui risque
malheureusement de vous rester en tête toute la journée... Visions
Of Confusion est la fusion
parfaite entre rock psychédélique et pop song ultra efficace. La
mélodie est imparable : pour simplifier les choses, c'est la
chanson idéale à mettre en se levant le matin. Kissed
est un titre acoustique d'à peine plus d'une minute, qui voit la
claviériste Louisa Bénâtre passer seule au chant. Une jolie
ritournelle mélancolique qui vient clôturer l'EP en douceur.
Difficile de ne pas penser aux petites chansons chantées par Meg
White au sein des White Stripes – le groupe est une influence
revendiquée des Deserteurs.
(En
cadeau bonus, The Deserteurs reprennent Osez Joséphine de
Bashung, façon Velvet Underground, en piste cachée.)
The
Deserteurs nous offrent ici un EP cohérent où ils parviennent à
trouver leur style propre. Fever In The Pocket
est leur premier effort, et il est prometteur. Vivement la suite.
That's all, folks!!! See you soon, ladies and gentlemen.